Pensées profondes - Anecdotes piquantes
Rendez-vous prochains (février 2017)

Notre nouvel épisode :

Les aventures de Monsieur Satie

Résumé des épisodes précédents :

Le monsieur face à moi frisait la septantaine, sur la tablette entre nous, il avait déposé un sac imprimé à l’enseigne du
« Vieux Campeur », et par instant, il sortait un calepin de sa poche et prenait des notes. À l’heure des tapotages frénétiques sur écrans tactiles, ce simple geste suffisait à me le rendre sympathique... Mais pas au point d’interrompre ma lecture : j’étais plongé dans « Le cas Malaussène », le dernier Pennac.
C’est lui qui engagea la conversation :
« Alors, vous êtes comédien... »

Je regagnais, tout juste, ma place après une « italienne », dans le compartiment voisin, avec Katia qui faisait tous les rôles et Éric : Figaro. (Rappelons que l’on nomme « iItalienne », cet exercice qui consiste à dire ses répliques à haute voix et toute vitesse. C’est un peu fastidieux mais rien de tel pour vous remettre un texte en bouche à quelques heures de la représentation).

- Comédien, en effet.
- Et vous jouez à Rennes ?
- Non... À Rennes, nous avons une correspondance en TER puis nous prendrons l’autocar jusqu’à Dinan.
- Très jolie ville.
- Il paraît, mais nous n’aurons pas beaucoup le temps d’en profiter...
- Vous jouez en matinée ?
- Non, seulement ce soir mais avec le raccord...

La glace était rompue, le bouquin était oublié et nous devisions tranquillement. C’est tout le charme de ces voyages en train que de nous ménager parfois des conversations aimables avec nos voisins. Le monsieur m’interrogeait sur mon travail, on sentait, à certaines remarques, à l’emploi de quelques mots du métier que le monde du théâtre ne lui était pas complètement étranger. Je lui parlai de la Huchette...

- J’ai un peu fréquenté cette petite salle, dans les années, les années...

Il lui fallut un peu de temps pour retrouver l’époque.

- Ça devait être en 92 ou 93... Je travaillais pour Nicolas Bataille.

Nicolas Bataille fut un des deux piliers de la Huchette, il avait mis en scène « La cantatrice chauve » (de Ionesco). Avec Marcel Cuvelier, metteur en scène de « La leçon » (du même Ionesco), ils convinrent de retenir ensemble, pour quelques semaines, cette petite salle du quartier Latin... C’était en février 1957. Et c’était sans compter les prolongations : on l’occupe toujours !

- Ils doivent être très vieux aujourd’hui, s’ils sont encore de ce monde.
- Marcel Cuvelier est mort, il y a 2 ans. Bataille... ça devait être fin 2008, je ne l’ai pas connu. Vous avez travaillé avec lui, dans « La cantatrice » ?
- Non, je travaillais sur un projet qui n’a pas abouti : « Les aventures de Monsieur Satie ». Ça promettait d’être un joli spectacle. Il y avait plusieurs séquences de théâtre d’ombres chinoises à la façon du cabaret du « chat noir ». Je tenais, à l’époque, une boîte de vidéo et j’avais réalisé une bande démo, très sympa, on y croyait... Malheureusement les producteurs n’ont pas suivi... Je vous avoue que je n’aurais pas gardé souvenir de ce travail si je n’étais tombé sur la bande, en faisant le vide... Par chance, elle n’était pas altérée...

Je savais qu’une exposition était en préparation à la BNF, dans le cadre des 60 ans de Ionesco à la Huchette. J’appelai immédiatement Franck, le directeur, qui me confirmait qu’un document vidéo relatif au travail de Nicolas Bataille (même s’il concernait un autre que Ionesco) y aurait toute sa place.

- Malheureusement, je n’ai plus rien. Quand j’ai cessé mes activités en 2010, j’ai décidé de me débarrasser de tout... J’ai confié la bande à un ami qui, lui-même, l’a transmise à quelqu’un qui, je crois, travaillait à la Huchette...

L’énigme fut vite résolue : le mystérieux interlocuteur était Gonzague Phelipe : factotum, archiviste, administrateur, technicien... il est, à la fois, la tête, les jambes et la mémoire de la Huchette (il lui a d’ailleurs consacré un livre) : il se souvenait effectivement avoir reçu un enregistrement.
Mais le monsieur continuait, il me parlait de son travail sur Satie, de sa collaboration avec une musicologue italienne très âgée dont le nom seul suffit à évoquer les saveurs méditerranéennes : Ornella Volta. Il poursuivait en me parlant de son travail de vidéaste dans les années 90. L’enthousiasme se teintait alors de nostalgie et peut-être d’amertume : le passage à la retraite, le matériel devenu inutile, obsolète, encombrant... les bandes démagnétisées, illisibles...

Et tel qui, quelques instants auparavant, dévorait tranquillement un livre de Pennac, se retrouvait soudain dans un roman de Modiano...
Elles sont pourtant toutes proches ces années 90 ! J’en garde un souvenir vif et joyeux : on habitait déjà Chédigny, les gamins allaient à l’école primaire dans le village d’à côté, on enchaînait les tournées de mon spectacle Maupassant et aussi de « Bastille-Bastringue » qu’on allait jouer jusqu’en U.R.S.S. et en Chine... J’ai des photos de tout cela, qui dorment dans un album et aussi des cassettes et une bande vidéo que je n’écoute et ne regarde plus, faute de lecteur et de magnétoscope... C’est précisément de cela que me parlait le monsieur. Son discours était émaillé d’un vocabulaire que plus personne ne partage désormais : U-matic, PAL/Secam, VHS, Master ¾ de pouce, Revox, Nagra... Tous ces mots évocateurs d’une technicité triomphante, il y a à peine 25 ans ont été balayés par les mots du numérique, triomphant à leur tour, et qui me paraissent tout aussi incompréhensibles (pour ne pas dire « abscons ») : hashtag, spotify, datatelling, software...
Nous nous sommes séparés à Rennes et j’ai poursuivi jusqu’à Dinan où je fus très fier, avec mes camarades du « Mariage de Figaro » de faire savourer la fantaisie, la pertinence, l’actualité des mots de Beaumarchais.

Beaucoup d’agitation à la Huchette : on prépare avec fièvre la soirée spéciale anniversaire du 16 février : théâtre, déguisements, critiques d’époque, rires d’aujourd’hui, intemporelle ironie, et savoureuses mondanités... Pour ma part, je participerai à la « Nuit de la Huchette » les 4 et 5 mars prochains et je tiendrai mon rôle de professeur dans « La leçon » en compagnie, pour la circonstance, de deux élèves : Pauline Vaubaillon et Lucie Barré (je ne sais pas laquelle j’assassinerai) et de deux bonnes : Joséphine Fresson et Stéphanie Mathieu ; cette représentation est annoncée à Minuit ! Une autre représentation est prévue à 2 heures du matin, toujours avec Pauline et Stéphanie et en compagnie cette fois de Marie Cuvelier et Émilie Chevrillon. Amis nyctalopes, réservez nombreux au theâtre de la Huchette : 01 43 26 38 99.

« Le mariage de Figaro » sera-t-il du prochain festival d’Avignon ?
« Rhinocéros » s’inscrira-t-il dans son sillage ?

Les huissiers les pourchassent ! Le succès les guette !
- Nos amis s’en sortiront-ils ?
- Bien sûr !
- Mais comment ?

Vous le saurez, bientôt, en lisant « Les pensées et anecdotes de mars 2017 » !

Vous en saurez un peu plus en surfant sur notre site : http://www.theatredelafronde.com.
Vous pourrez également voir la photo du mois dont la légende commence par :
« Le reflet du reflet ».