Résumé des épisodes précédents :
Je l’avais embarqué à la sortie de Tours où il faisait du stop. C’était un mercredi de juillet 1989 et il se rendait au Moyen-Orient.
Ça tombait bien : le vendredi suivant, j’allais jouer dans un spectacle consacré à George Sand dans ses terres du Berry. La Châtre, ce n’est pas Persépolis mais c’est sur la route !...
Il a donc fait une escale de deux jours à la maison et il s’est révélé un convive bien sympathique. Je ne suis plus très sûr de son prénom mais je me souviens bien de son nom : Benguigui. Il était de cette grande famille Sépharade qui compte de nombreux artistes (en particuliers les comédiens Jean et Richard), lui-même se consacrait à la musique et, le soir, il avait sorti de son sac à dos une magnifique flûte de grande taille dont il tirait des sons enchanteurs.
« Tu vois ce truc-là ? » m’a-t-il dit. « C’est à la fois mon passeport et ma carte bleue. Enfin bon, j’ai quand même un passeport, mais je n’ai besoin de rien d’autre. J’ai prévu de passer plusieurs semaines en Iran, il parait que c’est un des plus beaux pays du monde ! Les ruines de Perse sont extraordinaires... j’ai vu tout ça à la télé mais je ne connais pas grand monde, là-bas, et je ne parle pas la langue... En plus je suis Juif et apparemment, ils sont assez remontés contre nous, en ce moment... Par ailleurs, je n’ai pratiquement pas une flèche... mais je te l’ai dit, j’ai mieux que la carte bleue. » Il a prononcé le nom de sa flûte, un nom trop compliqué pour que je le retienne. « C’est l’instrument roi, là-bas, et j’en joue, chaque jour, depuis l’enfance, avec passion... Je crois pouvoir dire que je suis virtuose... Il y a des musiciens que je veux rencontrer là-bas, mais pas seulement, je veux aussi me balader dans le pays, voir les gens... Et je sais qu’avec ça - il montrait son instrument - toutes les portes me seront ouvertes... »
Le surlendemain, après la représentation, je le déposais au carrefour de deux routes Berrichonnes et je ne l’ai jamais revu. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de son périple, je ne sais pas si j’ai eu affaire à un vrai maestro ou à un authentique mythomane...
Qu’importe, son histoire m’a enchanté...
J’ai retrouvé le même enchantement, quelques années plus tard, à la lecture de « L’usage du monde » de Nicolas Bouvier. C’est à peu près la même histoire : le voyage jusqu’au Pakistan de deux jeunes gars à bord d’une Fiat Topolino. Il n’est pas question, ici, de musique, l’un des deux gars sort des Beaux-arts et il vend des dessins pour survivre, l’autre se contente d’être un beau parleur (il donne, deçà-delà, quelques cours de Français). On est au début des années cinquante et ils traversent les Balkans, puis le Moyen-Orient avec un bonheur égal... Ils notent parfois quelques tensions, à l’issue d’un match de foot, entre les communautés qui les accueillent, mais rien qui puisse altérer leur bonne fortune. C’est que tous deux appartiennent à une grande confrérie ! Une confrérie universelle (quoiqu’un peu misogyne) qui transcende les temps, les communautés et les religions... la Confrérie des Mécaniciens Automobiles ! Partout, en Bulgarie, en Croatie, en Iran, Irak, Afghanistan... au cœur du désert ou aux marches des plus grands palais d’Orient, ils trouveront la pièce de rechange et la clef à pipe secourable qui leur permettront de poursuivre leur voyage...
Soixante-dix ans plus tard, on survole de très haut, dans des avions parfois alourdis de bombes, les pays où ils s’aventuraient à hauteur d’homme...
Je ne veux pas faire d’angélisme à rebours je sais bien que le monde des années cinquante, le monde des Staline, Franco, Mao, Salazar... n’était pas un Eden. Mais je m’interroge sur le nôtre, sur ce que nous apportent le « progrès » et la « croissance », sur ce qu’ils nous coûtent... Et je me pose la question : si, aujourd’hui, un type avec une flûte me confiait son projet de rejoindre Téhéran... Devrais-je le dénoncer ?
Mercredi 2 décembre, Emmanuelle Tregnier et moi donneront « Les coquillages de M. Chabre », une nouvelle d'Émile Zola, lecture à deux voix proposée par la compagnie Interligne à la MARPA d’Artannes (37). Du mardi 8 au samedi 12, puis du 15 au 19 décembre à 20h, je rejoindrai le théâtre de la Huchette pour « La leçon » d’Eugène Ionesco que j’interprèterai en compagnie d’Émilie Chevrillon et Joséphine Fresson puis Hélène Hardouin et Marie Cuvelier (réservation au 01 43 26 38 99).
Y aura-t-il une représentation du Théâtre de la Fronde, en Touraine, d’ici le printemps ?
Et ailleurs ?
Des lectures se succèdent, des projets s’échafaudent... Aboutiront-ils ?
Les huissiers les pourchassent ! Le succès les guette !
- Nos amis s’en sortiront-ils ?
- Bien sûr !
- Mais comment ?
Vous le saurez bientôt, en lisant « Les nouvelles de décembre » !
Vous en saurez un peu plus en surfant sur notre site : http://www.theatredelafronde.com.
Vous pourrez également voir notre photo du mois dont la légende commence par ces mots : « Désolé ! Pas de drapeau aux fenêtres de notre maison, mais, accrochée à la cheminée... »
À suivre...