Résumé des épisodes précédents :
« Vivre ce n’est pas laisser passer l’orage, c’est apprendre à danser sous la pluie ». Il paraît que c’est de Sénèque ? Je ne sais pas de qui je tiens cette phrase ni où je l’ai entendue mais elle résonne en moi depuis ces dernières semaines. D’ordinaire, c’est une anecdote éloignée dans le temps qui nourrit cette chronique mensuelle. J’aime la patine du souvenir qui embellit, sans doute, un peu les choses, mais qui les simplifie et les rend plus lisibles...
Aujourd’hui, je n’y arrive pas.
C’était il y a un mois, à peine, nous entamions notre série Parisienne du « Mariage de Figaro ». C’est un vrai privilège, pour un comédien, de pouvoir enchaîner les représentations. Lundi 5 janvier : « couturière », mardi en « matinée » : « générale de presse » et en soirée : la « tout public ». Ce n’était, à mes yeux, que la seizième représentation de notre spectacle et j’étais surpris par la fébrilité de mes collègues : dans les loges, c’était les embrassades inquiètes et les petits cadeaux rituels des jours de « première » ? Je mesurais mal l’enjeu de la soirée : il y avait dans la salle les journalistes et les « professionnels de la profession » qui allaient faire ou défaire la réussite de notre spectacle !...
Tout cela nous apparaîtrait tellement vain, le lendemain soir... Entre temps, les hurlements des sirènes dans le quartier de la Bastille, le manège incessant des ambulances et des véhicules de police et des noms ressassés inexorablement : « Cabu », « Wolinski », « Charb », « Onc Bernard »... Des noms si familiers (certains m’accompagnent depuis le lycée, la lecture de mes premiers « Charlie » et de « La gueule ouverte », un fanzine écolo illustré par Cabu)...
Il a pourtant bien fallu jouer.
Je ne veux pas parler, ici, d’autres deuils qui me touchent d’encore plus près ni de l’inquiétude pour des amis en bagarre contre les métastases (« Métastase, Métastase ? Encore des Ashkénazes ! » plaisante crânement l’un d’eux, juif Sépharade).
Étrange, douce et salutaire contrainte que celle de faire le guignol à de certains moments. Se contraindre à être joyeux, donner le change... Au moins pendant deux heures.
Le public nous accompagne. Après deux soirs de désarroi, les rires gagnent. Les lycéens bravent les mesures sécuritaires : on voudrait leur interdire de venir en groupe, ils viennent individuellement, se retrouvent au théâtre et rient plus fort que les autres. Il y a, dans leurs éclats de rire, un coté bravache qui réconforte toute la salle. La presse suit : de Gilles Costaz (Politis) à Philippe Tesson (Le Figaro), les articles sont unanimement dithyrambiques, nous voilà pratiquement estampillés « spectacle Charlie ». Cette unanimité réchauffe et interroge à la fois. C’est vrai qu’il y a dans notre texte une phrase vieille de 250 ans et qui résonne singulièrement : « Je broche une comédie dans les moeurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé de... je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens ! »
Mais, au-delà des phrases dans lesquelles chacun peut puiser l’eau pour son propre moulin (on peut y voir une charge contre les « Mahométans » autant que contre les princes ou ceux qui leur complaisent), il y a, dans « Le mariage de Figaro », une insolente gaîté qui nous réunit tous. On voudrait se revendiquer de Beaumarchais et célébrer, à travers, lui notre république comme le faisaient, au XIXème siècle, les patriotes Italiens qui écrivaient nuitamment « Viva Verdi » sur les murs de leurs villes, comme le faisaient certains de nos grands parents qui, au plus noir de l’occupation, dansaient, draguaient, riaient sur de la musique Jazz.
Le public est désormais si nombreux qu’il donne envie de pousser les murs du Théâtre 14, nous lui devons la plus belle des réponses à ceux qui nous voudraient craintifs et respectueux de je ne sais quelle idole ou idéologie, celle du théâtre, de la musique, du rire et de l’insolence.
On va donc continuer nos pieds de nez au Théâtre 14, 20 avenue Marc-Sangnier, 75014 Paris. Location : 01 45 45 49 77 jusqu’au 21 février...
« Le mariage de Figaro » participera-t-il au concours des « Molières » ?
Le théâtre de la Fronde jouera-t-il en Touraine ?
Nos amis retourneront-ils à la Réunion ? Découvriront-ils le Costa-Rica ?
Les huissiers les pourchassent ! Le succès les guette !
- Nos amis s’en sortiront-ils ?
- Bien sûr !
- Mais comment ?
Vous le saurez bientôt, en lisant « Les nouvelles de février » !
Vous en saurez un peu plus en surfant sur notre site : http//www.theatredelafronde.com (l’ensemble des chroniques y apparaît ainsi que les magnifiques « Photos du mois »).
Et beaucoup plus en venant assister à l’une de nos prochaines représentations.
À suivre...