Résumé des épisodes précédents :
L’affiche était très belle.
Au départ, il y avait une photo noir & blanc extraite de notre spectacle : la comédienne Christine Mariez, assise en haut d’un praticable incliné évoquant une dune, derrière elle, l’auréole d’un grand parasol rayé. La photo de Catherine Raynaud avait été mise en page par Jean-Jack Martin pour réaliser notre propre affiche et celle-ci avait inspiré les artistes du théâtre Molodiojny de Kiev.
L’affiche s’étalait encore sur la devanture du théâtre. Deux mètres sur trois, entièrement peinte à la main. On reconnaissait la photo initiale mais celle-ci avait été audacieusement réinterprétée par l’artiste. Le contraste était vif entre le blanc et noir de l’illustration et le rouge de l’écriture cyrillique. Par déduction je reconnaissais les caractères du titre « Faits divers avec chiens » et le nom de l’auteur « Guy de Maupassant ». Notre spectacle, la veille, avait rempli la salle. L’affiche avait fait son office. La toile serait décrochée dans les prochaines heures pour être repeinte aux couleurs d’un autre spectacle. J’étais fasciné par la qualité de l’affiche autant que flatté par ses dimensions et je n’en avais jamais vue, jusqu’alors, peinte à la main. C’était, pour moi, un vestige du cinéma des années cinquante et je venais de lire « Les pas perdus », un roman de René Fallet dont le héros est précisément un peintre affichiste de cinéma. J’eus soudain envie d’emporter la toile. C’était l’affaire de quelques dollars. La situation économique de l’Ukraine confinait, à l’époque, au surréalisme : les billets jonchaient les trottoirs, on pouvait téléphoner gratuitement des cabines à pièces pour la simple raison qu’il n’y avait plus de monnaie : des petits malins s’étant avisés que les kopecks avaient moins de valeur que leurs alliages, toutes les pièces avaient disparues pour être, disait-on, fondues en Pologne... Des queues interminables de changeurs à la sauvette s’alignaient devant les banques, ils proposaient leurs liasses de roubles, de kupons ou de hryvnias contre quelques dollars... On avait trop d’amis dans la ville, on se sentait trop proches d’eux pour profiter de la situation. Nos trafics restaient modestes : quelques livres d’art, des boites de caviar, de minuscules tableaux et des bijoux en ambre véritable (qui se révélèrent de pur plastique). Cette fois, pourtant, la tentation était forte. Une fois pliée dans la caisse à accessoires, la toile échapperait facilement à la vigilance des douaniers. Se la procurer était encore plus simple : quelques dollars suffiraient pour dédommager le théâtre, lui permettre d’acheter du matériel de remplacement... Je restais longtemps à réfléchir. Trop longtemps. Les scrupules apparaissaient peu à peu... Je savais bien que l’argent ne parviendrait jamais au théâtre, qu’il serait détourné à la première transaction... Il n’y avait, de toute façon, ni toile de lin, ni peinture de remplacement... Parce que j’avais des dollars et pour le seul plaisir vaniteux de déployer une toile illisible, j’allais dépouiller de son matériel de communication le théâtre qui nous avait accueillis. L’affiche me renvoyait soudain, de moi, une image déplaisante et j’abandonnais le projet.
J’ai eu bien tort.
Cette affiche est assurément une des toutes dernières à avoir été peinte à la main.
Dans les mois qui ont suivi notre tournée, une avalanche de haute technologie s’est abattue sur Kiev. Les oranges étaient toujours un luxe introuvable. Les produits de première nécessité restaient inabordables, les magasins étaient vides mais leurs vitrines, soudain, s’étaient muées en guirlandes de noël, les murs s’étaient recouverts d’affiches à la gloire de Coca-Cola, 7up, Barbie... Dans sa hâte frénétique de rejoindre l’Occident, Kiev se prenait pour Las Vegas. Les théâtres n’étaient pas en reste. Le moindre spectacle se devait d’être annoncé à grand renfort de clignotants. Faire appel à un peintre pour la réalisation d’une affiche devenait un anachronisme suspect, susceptible de vous faire passer pour un nostalgique de la propagande Stalinienne.
Les années ont passé, l’affiche a disparu, les Ukrainiens ont d’autres soucis et moi j’ai bien du mal à trouver une morale à mon histoire... Ni même une conclusion... Au moins une petite touche finale ?
Ah si : Bonne année !!!
Une autre belle affiche sur les colonnes Morris de la capitale : celle de notre « Mariage de Figaro » du mardi 6 janvier au samedi 20 février au Théâtre 14, 20 rue Marc Sangnier - 75014 Paris, Métro Porte de Vanves – Bus 58 et 95 – T3 Didot – Vélib' face au théâtre, réservations : 01 45 45 49 77 du mardi au vendredi à 21h, le samedi à 16h et 20h30.
Quel accueil le public Parisien va-t-il réserver au virevoltant et cynique Figaro ?
À quand notre prochaine représentation en Touraine ?
Nos amis retourneront-ils à la Réunion ? Découvriront-ils le Costa-Rica ?
Les huissiers les pourchassent ! Le succès les guette !
- Nos amis s’en sortiront-ils ?
- Bien sûr !
- Mais comment ?
Vous le saurez bientôt, en lisant « Les nouvelles de janvier » !
Vous en saurez un peu plus en surfant sur notre site : http//www.theatredelafronde.com (l’ensemble des chroniques y apparaît ainsi que les magnifiques « Photos du mois »).
Et beaucoup plus en venant assister à l’une de nos prochaines représentations.
À suivre...