Résumé des épisodes précédents :
Ça se prononce « Klioutché » et ça signifie « Clefs ». D’ordinaire, les premiers mots qu’on retient d’une langue étrangère sont « Bonjour », « Merci », « A votre santé »... Curieusement c’est ce mot : « clefs » qui s’est gravé dans mon esprit. En deux temps, deux épisodes éloignés de quelques mois, quelques centaines de kilomètres et pourtant aux antipodes l’un de l’autre.
L’avant-veille, à Riga, nous avions assisté à une manifestation immense au cours de laquelle les drapeaux Russes avaient été enlevés de la façade de l’hôtel de ville pour faire place aux couleurs nationales Lettones. Le jour même, plus tôt, dans la soirée, nous avions donné une représentation de « Bastille-Bastringue » dans une curieuse église désacralisée de Vilnius. Nous étions arrivés le matin dans la capitale Lituanienne. C’était au printemps 1990, un printemps riche de promesses, d’illusions et pavé d’angoisses... Après le spectacle, nous étions reçus, à l’intérieur de l’université, par une poignée de profs et quelques étudiants. Étrange repas : la table avait été dressée avec cérémonie, il nous restait à partager... quelques pommes, des biscuits secs et beaucoup de vodka. Nos interlocuteurs parlaient un peu notre langue, ils nous pressaient de questions, leur curiosité était insatiable. Peu à manger, beaucoup à boire, l’ambiance s’était vite réchauffée. On chantait, on se balançait sur nos chaises bras dessus, bras dessous... Serge avait sorti son accordéon, on s’était mis à danser. C’est alors que la babouchka est arrivée, l’ambiance avait changé sans qu’on y prête attention. Patrick a même voulu l’entraîner dans une java mais la vieille a protesté. Elle était engoncée dans plusieurs épaisseurs de vêtements, pas d’uniforme mais un trousseau de clefs à la main qu’elle agitait. Les professeurs ont tenté de négocier. Nous ne comprenions rien à leurs propos et je n’ai retenu que « Klioutché ! Klioutché ! » qu’elle répétait d’une voix désagréable. Alors l’attitude des professeurs a changé, sur leur visage la peur le disputait à la rage et l’humiliation. Ils se sont tournés vers nous et nous ont expliqué que la camarade gardienne leur demandait de quitter l’université... Nous avons terminé la soirée dans une piaule avec les étudiants mais les profs ont refusé de nous accompagner, ils avalaient leurs dernières couleuvres : quelques jours plus tard Vilnius se révolterait, Moscou enverrait ses milices, la ville serait, un temps, en état de siège puis se libérerait...
Fin du premier épisode.
Novembre 1992, j’ai passé tout le mois chez Olga et Slava et toute la soirée à répéter au théâtre Vertep. Les difficultés n’ont pas manqué mais on serait bientôt prêt. On avait repéré ce spectacle, Serge et moi, au cours d’une précédente tournée et fait le pari de l’adapter au jeune public français. Dix-huit comédiens, danseurs, chanteurs sur scène. Pendant que je travaille la mise en scène, à Kiev, Serge vend des représentations en France. On est un peu inquiet, on n’imagine pas encore le succès de « La nuit d’Ivan Koupal » : une vingtaine de dates, dès la première année, des tournées qui se succèderont trois ans de suite... Une aventure qui, en ces temps si difficiles pour eux, changera un peu la vie de nos amis Ukrainiens (et, sans doute, aussi un peu la nôtre).
La répétition a été intense, les comédiennes et les comédiens sont partis se changer dans les loges, je suis seul devant la grande scène vide du théâtre Vertep, quinze mètres de profondeur et d’ouverture, un plateau tournant au centre, des pendrillons poussiéreux, un vieux piano en coulisse et de gros projecteurs qui pivotent automatiquement sur leur axe et leur lyre (lointains ancêtres de nos téléscans, je n’en ai vu que dans les pays de l’Est). Je suis tiré de ma torpeur par une voix aigrelette : « Klioutché ! Klioutché ! », je me mets aussitôt à détester la mamie. Qu’est-ce qu’elle vient nous emmerder celle-là ! On travaille nous ! Je suis d’une parfaite mauvaise foi : le travail est fini, je rêvassais pendant que les comédiens bavardaient dans les loges... La babouchka insiste « Klioutché ! Klioutché ! » : mêmes mots, même voix désagréable, mêmes clefs, mêmes épaisseurs de vêtements sur un vieux corps informe... Encore quelques mois et je parlerai suffisamment le Russe ou l’Ukrainien pour lui indiquer où elle peut se les fourrer ses clefs ! Staline est mort. Merde ! C’est fini Tintin chez les soviets ! La mamie ne doute de rien, elle monte sur le plateau, elle se permet de déranger des artistes ! Elle se dirige vers le piano, s’assoit. Les comédiens interrompent leurs bavardages, les notes s’élèvent, la musique se développe sereine, harmonieuse. La musique remet tout à sa juste place, elle redonne au vieux théâtre son lustre d’antan. Elle redonne à la concierge l’emploi d’accompagnatrice d’artistes lyriques qu’elle n’aurait sans doute pas quitté si tout un système ne s’était écroulé autour d’elle... Et, accessoirement, elle donne une bonne leçon à un jeune metteur en scène présomptueux qui n’oubliera plus jamais le mot « Klioutché »...
Le même, quelques années plus tard, accompagné cette fois d’une jeune violoncelliste donnera les « Nouvelles de mon cru » au petit théâtre troglodytique de la Touline à Azay-sur-Cher (37) les jeudi 1er et vendredi 2 décembre à 21h, réservation au 02 36 43 01 08. Puis il ira jouer « La Leçon » de Ionesco au théâtre de la Huchette à Paris du 6 au 10 décembre, à 20h, réservation au 01 43 26 38 99. Enfin les « Nouvelles de mon cru » seront, de nouveau, données en représentation les jeudi 15, vendredi 16, samedi 17 décembre à 20h ainsi que le dimanche 18 à 17h au Carré Davidson, 62 rue George Sand à Tours, réservation au 02 47 20 51 13.
Quelles seront les retombées du festival d’Avignon ?
Combien de danseurs de tango viendront-ils à la Milonga de Chédigny le 16 décembre au soir ?
Quelle sera la prochaine « photo du mois » ? Quand apparaîtra-t-elle sur notre site ?
Le succès les guette, les huissiers les pourchassent !
- Nos amis s’en sortiront-ils ?
- Bien sûr !
- Mais comment ?
Vous le saurez bientôt, en lisant « Les nouvelles de décembre » !
Vous en saurez un peu plus en surfant sur notre site : http//www.theatredelafronde.com
Et beaucoup plus en venant assister à l’une de nos prochaines représentations.