André Cellier était mon prof de théâtre au centre dramatique de Tours à la fin des années soixante-dix. C'était un vieux stalinien colérique. Telle était, du moins, mon opinion de l'époque, il conviendrait aujourd'hui de la nuancer.
Vieux ? Il avait la cinquantaine (c'est mon âge aujourd'hui).
Stalinien ? Certainement pas ! Il était, certes, un militant sincère du PCF mais à l'intérieur même du Parti, nul doute que ses positions hardies (sur la tolérance vis-à-vis des homosexuels notamment) devaient hérisser les véritables tenants de l'orthodoxie Stalinienne.
Colérique ? Il l'était indiscutablement : nous attendions ses colères avec un mélange de crainte et de gourmandise. Mais la colère chez lui n'altérait ni l'intelligence, ni la sensibilité. Il est le premier (avec dix ans d'avance) à avoir décelé chez Didier (Georges) Gabily, un talent, aujourd'hui, unanimement reconnu... Chez moi, il n'avait pas décelé grand-chose mais il m'aimait bien et je crois que ça lui a fait de la peine que j'abandonne son aventure du « Théâtre Libre de Touraine » pour rejoindre une autre compagnie : le théâtre du Pratos. Une bande d'authentiques Marxistes (tendance Groucho) dont la fantaisie subversive répondait plus à mes aspirations.
J'ai retrouvé André Cellier, quelques années plus tard, chez des amis communs et je lui ai avoué qu'avec le recul de ma petite expérience de comédien professionnel, je réalisais que c'était son enseignement (la fameuse Méthode Stanislavsky) qui m'était du plus grand secours.
Quelques années encore, et il apprenait que je projetais de monter une version de « Rhinocéros » que je jouerai seul.
« Décidément, il sera toujours aussi fou, ce con-là ! »
Je fus un peu piqué au vif quand on me rapporta ses propos : il allait voir, le père Cellier ! J'arriverai bien à le traîner à une de mes représentations et il verrait alors... Il en fut autrement : André Cellier est mort quelques semaines avant la création de « Rhinocéros ».
Aujourd'hui, c'est lui, pourtant, qui m'accueille à chaque représentation au théâtre de Poche (j’ai appris qu'il en a été le directeur, dans les années cinquante à la suite de Jean Vilar). Il est en photo avec sa compagne Hélène Roussel. C'est une vieille photo en noir et blanc extraite du très beau spectacle « Lettre d'une mère juive soviétique à son fils ». Le hall du théâtre de Poche est ainsi tapissé de photos et d'affiches, certaines sont récentes, d'autres très anciennes. Outre Renée Delmas et Etienne Bierry, les actuels co-directeurs, on reconnaît Suzanne Flon, Marcel Marceau, Antoine Vitez, Michel Piccoli (tout jeune), Patrick Dewaere, Daniel Auteuil... Une noria de magnifiques comédiens se sont ainsi succédés sur les planches du Poche et je suis impressionné de m'inscrire à leur suite.
Les représentations, pour moi, ont donc commencé fin janvier, et elles se poursuivront jusqu'à la mi-avril. La salle du bas a été spécialement aménagée pour accueillir et mettre en valeur le spectacle. Je joue tous les jeudis, vendredis et samedis à 19h. Jusqu’à la semaine dernière, le public s’est montré moins réactif qu'à la Huchette et les recettes étaient bien maigres mais ces tous derniers jours ont été bien réconfortants.
Dans le rôle de l’hirondelle de bon augure : Isabelle Huppert ! Elle est arrivée furtivement juste avant la représentation du jeudi, s’est glissée au premier rang, est repartie très vite mais semble avoir apprécié le spectacle… Le lendemain paraissait un premier article élogieux dans « Paru vendu » et le samedi, dans « Le Figaro », un article de fond était consacré à Ionesco, article qui faisait la part belle à « Les chaises », à la comédie française et surtout « Rhinocéros ». L’impact a été immédiat : enfin une salle pleine au théâtre de Poche ! Nous saurons bientôt s’il est durable...
Sinon nous ne manquerons pas de « Konkasser du Kakao » (y avait longtemps) en Touraine : à la salle des fêtes de Saint-Germain-sur-Vienne le dimanche 22 février à 15h.
Je repense à la réflexion de mon vieux professeur : « Toujours aussi fou... »
C’était peut-être un compliment ?